La merveilleuse aventure de Rodolphe

, par Collioure

Il était une fois un petit garçon très audacieux nommé Rodolphe qui habitait Paris.

Il aimait l’aventure.


Un jour, il décida de faire un grand voyage.

Il n’avait guère d’argent dans sa tirelire, mais il demanda à chaque grande personne qu’il connaissait de bien vouloir lui donner une pièce de monnaie, en lui expliquant son projet. Il édifia une pile avec toutes ces pièces, puis encore une autre et, quand il jugea son trésor de guerre suffisant, il se rendit à l’aéroport et il prit un billet pour une ville lointaine : je crois bien qu’il s’agissait de Vladivostok.

Ayant appris que cette région du monde était très froide, il fit ses préparatifs en conséquence et il mit un anorak bien chaud dans son sac de sport.

Le jour du départ arriva.

Rodolphe ne fut pas le dernier à se présenter à l’embarquement.

L’avion prit son vol et tout commença par se dérouler très facilement, très naturellement. L’hôtesse de l’air servit aux passagers un plateau qui ne valait pas les bons petits plats de la maison, mais aujourd’hui ce détail n’avait pas grande importance.

Toutefois, au bout de quelques heures, le commandant de bord prit la parole au micro et Rodolphe comprit que les ordinateurs de l’appareil avaient détecté quelque chose d’anormal. Sur ces entrefaites, l’ordre fut donné d’attacher les ceintures. L’avion perdit de l’altitude, toucha le sol et s’immobilisa.

Les passagers étaient tout surpris par cette escale imprévue. Pour les calmer, le commandant de bord les autorisa à se dégourdir les jambes quelques minutes.

Rodolphe n’allait pas manquer cette occasion. Simplement, quand il sentit un vilain courant d’air entrer dans l’avion, il enfila son anorak avant de sortir.

L’appareil s’était posé dans une grande plaine recouverte d’une herbe rase, d’un vert fatigué et l’on apercevait de-ci de-là de grosses plaques de neige. On pouvait néanmoins se déplacer sans peine et Rodolphe, qui avait des fourmis dans les jambes, se mit à marcher, puis à courir. Quel plaisir ! Il respirait ce bon air froid qui le grisait un peu. Il courait droit devant lui : c’était tellement agréable après toutes ces heures passées dans une atmosphère confinée.


Soudain il leva les yeux, stupéfait. Il venait d’apercevoir devant lui, sur une petite colline, une maison bizarre, rose, coiffée d’une énorme cheminée d’où ne sortait aucune fumée. Il y avait là un vrai mystère !

Il faut absolument que j’aille voir cela de plus près, se dit-il, et il commença à grimper la pente avec énergie.

À ce moment précis, deux événements surprenants se produisirent : d’abord un hélicoptère sortit par la cheminée. Rodolphe aperçut dans l’appareil des boîtes de toutes les couleurs. Ensuite, un côté de la maison s’ouvrit et Rodolphe vit apparaître une jolie locomotive dorée dont la cheminée crachait des volutes de fumée bleue. Elle tirait deux wagons tout renflés qui laissaient voir, par leurs fenêtres, de nombreuses boîtes, de diverses formes, rouges, bleues, vertes, oranges, jaunes et argentées.

Décidément, cette demeure était bien mystérieuse et c’est avec une grande curiosité et avec une pointe d’appréhension que Rodolphe frappa à la porte...

Il n’entendit d’abord que le silence. Puis des pas lents, traînants se rapprochèrent. On poussa un verrou.

La porte s’ouvrit : c’était le père Noël ! Le père Noël en personne ! Il souriait dans sa barbe. Il portait sa robe rouge mais il n’avait pas sa hotte sur le dos.

« Bonjour », dit-il, en plissant les yeux. « Comment t’appelles-tu et d’où viens-tu ?

— Je me nomme Rodolphe, je viens de Paris et mon avion est tombé en panne. »

Craignant de déranger, il ajouta timidement :

« Je voulais juste vous dire bonjour mais je vais repartir tout de suite.

— Cela m’étonnerait beaucoup ! » répliqua le père Noël. « Lève un peu la tête s’il te plaît et regarde ton avion qui vient de décoller et qui monte dans le ciel. même si tu cours de toutes tes forces, tu n’as guère de chance de le rattraper ! »

Rodolphe eut brusquement envie de pleurer. Il se sentait tout seul, perdu dans cette immensité où il y avait sans doute des loups.

Le père Noël voit tout et il vit les larmes dans les yeux de Rodolphe.

« N’aie pas peur », lui dit-il, en lui posant la main sur la tête. « Entre donc un moment. »

Il le poussa doucement à l’intérieur.

Avant toute chose, le père Noël conduisit Rodolphe dans une pièce bien chauffée. Il lui servit lui-même une grande tasse de chocolat fumante et odorante avec deux respectables tartines de confiture.

Rodolphe dévora presque tout, mais il se demandait maintenant s’il n’était pas en train de faire un rêve et s’il n’allait pas se réveiller dans son lit à Paris.

« Ça va mieux ? » lui demanda la barbe blanche. « Veux-tu dormir un peu ou préfères-tu visiter tout de suite mon domaine ? »

Rodolphe eut peur, en s’endormant, de se réveiller et, ainsi, de sortir de cette aventure merveilleuse. Il accepta de faire la visite tout de suite.


La chambre du père Noël était très simple. Il y avait un lit pour une personne, une table sur laquelle était posée sa hotte et sur le mur de nombreuses photos d’enfants blancs, noirs, jaunes et rouges.

Les uns étaient assis dans un car de ramassage scolaire ; d’autres dans une cour de ferme apportaient des fanes de carottes à des lapins ; d’autres encore, en Afrique, couraient au milieu des cases ; d’autres, dans le Grand Nord, jouaient sur la glace avec de petits ours blancs ; d’autres enfin regardaient une vitrine de jouets dans la rue d’une grande ville, avec deux yeux pleins d’envie.

« Nous allons voir maintenant le plus important », dit le père Noël solennellement : « ce sont les MACHINES. »

Ils prirent un petit ascenseur, dont l’air était parfumé à la lavande. Ils arrivèrent dans une grande salle souterraine. De nombreuses machines étaient en train de tourner en ronronnant et de produire des jouets.

Des tapis roulants apportaient des paquets de bois, des cylindres d’acier, des plaques d’aluminium, des rouleaux de carton, des écrans transparents en matière plastique, des cordes et des ficelles de toutes les couleurs et du papier cadeau.

De part et d’autre des tapis roulants, de petites grues prenaient ce qu’il fallait au bon moment et allaient le déposer dans telle ou telle machine.

Le père Noël surveillait cette machinerie tout en parlant avec Rodolphe. De temps à autre, il actionnait une manette, ou il appuyait fébrilement sur un bouton.

À un moment donné, il alla chercher sa trousse à outils. Il répara avec une pince et un tournevis une machine qui donnait des signes de fatigue.

Rodolphe regardait tout cela avec émerveillement, mais il commençait à être vraiment fatigué. Ses jambes ne voulaient plus le porter.

Le père Noël s’en aperçut tout de suite.

« Viens te coucher, Rodolphe », lui dit-il, et il lui prit la main.


Le lendemain matin, quand Rodolphe se réveilla, c’était l’heure où sa maman venait l’embrasser. Il eut soudain envie de la revoir, très vite, le plus vite possible.

Le père Noël entra dans la chambre et, aux premiers mots de Rodolphe, il comprit ce qui se passait dans sa tête.

« N’aie pas peur », lui dit-il. « Il te faut seulement un peu de patience. Tu reverras bientôt tes parents. Je te le promets.

— Vous avez un avion ? » demanda Rodolphe, encore inquiet.

« Non, pas exactement, mais j’ai autre chose, un objet qui va te donner un peu de peine, qui va te faire travailler, mais qui te ramènera chez toi à Paris. Je vais t’offrir un train, un train magique. Suis-moi. »

Ils reprirent l’ascenseur et descendirent à l’étage situé en dessous de celui des machines.

« C’est ici que je conserve mes armes secrètes », précisa le père Noël. « Je veux dire mes jouets secrets, les jouets qui sont capables de faire sourire même un enfant très malheureux. »


Il poussa une porte.

À ce moment, devant Rodolphe, apparut le plus merveilleux petit train que l’on puisse rêver, avec une locomotive et un wagon.

Rodolphe n’eut qu’à monter deux marches. Il put s’asseoir à la place du conducteur, appuya sur un bouton doré. Le train siffla deux fois.

« Et le train... Il marche ? » demanda Rodolphe en écarquillant les yeux.

« Il marche et même il passe partout », lui répondit le père Noël. Il lui indiqua les manettes et les boutons sur lesquels il convenait d’agir pour la manœuvre.

À cet instant, Rodolphe eut comme un frisson. Il eut peur : faire seul le voyage de retour, affronter seul de grands dangers peut-être. Il était si jeune encore, si tendre...

Le père Noël avait pensé aussi à cela.

« Oui, je sais, tu crains de faire de mauvaises rencontres. La chose peut arriver, c’est vrai, mais avec ceci tu pourra te défendre. » Il ouvrit un placard et en sortit un joli fusil argenté.

« N’oublie surtout pas de maintenir la sûreté ! Tu ne l’enlèveras que s’il y a un danger immédiat ! Ce n’est pas un jouet. C’est un vrai fusil ! Enfin, disons que c’est un jouet magique et il te protègera réellement, autant qu’un vrai fusil, quel que soit le danger. »

Rodolphe prit l’arme dans ses mains, la serra contre sa poitrine et ferma les yeux. Il avait repris confiance en lui.


Après un bon repas vint l’heure du départ. Rodolphe mit le contact. Il embrassa une dernière fois le père Noël, sans voir les larmes qui perlaient dans ses yeux. Maintenant les choses sérieuses commençaient : il fallait faire marcher la locomotive jusqu’à Paris, quoi qu’il arrive ; c’était désormais son idée fixe.

Il démarra avec douceur, se retourna quelque secondes, puis accéléra.

Au début, le voyage ne fut pas trop difficile. Le train était monté sur des roues en caoutchouc, ce qui lui permettait de passer avec aisance à peu près partout. Il y avait bien quelques cahots, de temps en temps, quand on passait sur une bosse, mais cela pouvait aller. Puis quelques arbres apparurent et ils devinrent peu à peu plus nombreux. Bientôt le train se trouva rouler en pleine forêt.

Heureusement que le père Noël m’a donné une boussole, se dit Rodolphe. Il me suffit de me diriger toujours vers l’ouest pour être certain d’être sur le bon chemin ! Je peux me passer de l’étoile polaire.

Mais, pendant ce temps, la lumière diminuait. Le jour tombait. Bientôt la nuit fut complète. Rodolphe savait qu’il pouvait dormir dans le wagon, qui était muni d’une forte serrure. Le père Noël y avait installé à son intention un petit lit bleu, moelleux, avec un oreiller en plumes.

Il savait tout cela, mais lorsqu’il entendit : « Hou ! Hou ! », il eut un frisson. Le père Noël était bien loin maintenant et les parents plus encore. Ils ne pouvaient seulement imaginer dans quelle situation se trouvait leur fils !

C’était une affaire entre lui et le loup.

Il respira un bon coup, avala sa salive et posa la main sur le fusil. Par précaution, il enleva la sûreté.

Soudain, sur sa gauche, un peu devant lui, il aperçut deux grands yeux rouges qui le regardaient fixement. Ils se rapprochaient.

Il n’y avait pas un instant à perdre.

Il visa. Il appuya sur la détente sans hésiter. Un gerbe de lumière éblouissante sortit du canon : elle se projeta sur le loup, qui fit aussitôt demi-tour et s’enfuit en hurlant de peur.

Une chouette insolente éclata de rire.

Fou de joie, Rodolphe tira quelques rafales de lumière en l’air. Il continua sa route sans perdre davantage de temps.


C’est seulement une heure plus tard, une fois sorti de la forêt, qu’il arrêta le train près d’une ferme. Il vit par la fenêtre des enfants blonds regarder la télévision dans la cuisine. Ils ne le voyaient pas mais il leur sourit dans la nuit.

Il se glissa dans le lit et s’endormit, plein d’espoir.

Le lendemain matin, le soleil étincelait. Rodolphe, encore couché, aperçut de son lit le fermier, la fermière, les enfants de la ferme et le chien de berger.

Ils étaient réunis autour du train magique : ils le regardaient avec sympathie. Il se leva aussitôt pour les rejoindre. Ils lui apprirent qu’il se trouvait en Allemagne.

Rodolphe fit visiter de bonne grâce le train magique, mais il ne fallait pas perdre trop de temps car il lui restait tellement de route à faire, expliqua-t-il à ses nouveaux amis. Il accepta cependant de prendre le petit déjeuner avec eux. La fermière lui fit gober un œuf qu’une gentille poulette venait justement de pondre.

Des oiseaux chantaient dans les buissons. Le petit garçon de la ferme prit Rodolphe par la main, le fit escalader un talus. Il lui montra un joli nid dans lequel des oisillons attendaient leur repas en ouvrant un bec immense.

Rodolphe s’attendrit mais il sentit la chaleur sur sa nuque : le soleil était déjà haut dans le ciel. Il fallait partir.

Il embrassa tout le monde et reprit sa route.


Toutefois, à mesure qu’il avançait, les maisons devenaient plus nombreuses. Il traversa un village, puis un autre. De plus en plus souvent, les gens, sur le pas de la porte, s’arrêtaient de parler en l’apercevant, pour lui faire des signes d’amitié. Certains même l’applaudissaient. Une petite fille cueillit un coquelicot sur le bord du chemin et le lui offrit.

Il croisa une voiture de gendarmerie : ces messieurs à képi firent demi-tour pour admirer l’équipage. Ils s’arrêtèrent à la hauteur de Rodolphe pour lui demander comment il s’appelait. Quand ils entendirent son nom, leur visage devint tout rose. Ils se mirent à parler fébrilement dans leur poste de radio ; au bout de quelques minutes, ils proposèrent fort poliment à Rodolphe de le conduire jusqu’à l’autoroute et de lui ouvrir le chemin. Il accepta avec simplicité.

Ainsi donc fut fait. Rodolphe put rouler en sécurité dans son train sur l’autoroute. Toutes les voitures, tous les camions ralentissaient pour ne pas le gêner et aussi pour le contempler, mais Rodolphe regardait droit devant lui.


C’est ainsi qu’il arriva à Paris. Il traversa la ville sans encombre. Ayant retrouvé la maison de ses parents, il laissa le petit train dans la rue, le gara sagement derrière la voiture de son père, monta l’escalier en courant jusqu’à l’appartement.

Ses parents, qui étaient en train de dîner, arrêtèrent aussitôt leur repas, le couvrirent de baisers, lui dirent leur inquiétude ; ils lui demandèrent d’où il venait et comment il avait pu revenir de si loin.

Il leur raconta son fabuleux voyage, décrivit le merveilleux cadeau que le père Noël lui avait fait pour assurer son retour.

D’abord ils ne voulurent pas le croire, mais il les pria de descendre dans la rue avec lui. Quand ils virent le petit train, ils durent se rendre à l’évidence et ils laissèrent éclater leur joie.

Ils étaient fiers de lui, ils admiraient le courage qu’il avait montré. Ils lui posaient mille et mille questions.

Rodolphe commençait à tout mélanger. Il aurait bien voulu aller raconter tout de suite son aventure aux copains mais ses yeux se fermaient malgré lui. Il chancelait de fatigue. Son père le prit dans ses bras et le porta dans sa chambre, où il s’endormit aussitôt.


Il dormit longtemps, longtemps, d’un sommeil paisible, mais dans ses rêves il revit encore une fois le père Noël, sa maison, ses machines et le train qui avançait dans la forêt. Il vit aussi deux yeux rouges qui le fixaient puis, tout là-bas, le loup épouvanté qui s’enfuyait à toute jambes dans une gerbe de lumière...